Faut-il interdire le smartphone à l’école ?

Après le vote d’une proposition de loi de la République en marche, le 8 juin concrétisant un engagement du candidat Macron à la présidentielle, les portables et autres smartphones seront interdits dès la rentrée 2018 dans le primaire et le secondaire. Cette loi suscite un vif débat au sein de la communauté enseignante, des parents aux enseignants en passant bien sûr par les élèves car aujourd’hui, près de 95 % des 12-17 ans sont équipés d’un téléphone portable. Photo by Tamarcus Brown on Unsplash

Une réalité aux conséquences multiples qui pose des questions de fonds sur l’utilisation massive des objets numériques et connectés : quels impacts dans l’apprentissage et sur le cerveau de nos enfants ? quelles évolutions des relations humaines et de notre vie en société ? Et surtout quelle vision pédagogique construire autour de cette nouvelle réalité et de ces outils ?

Que va changer cette loi ?

Précisons d’abord que l’usage du téléphone portable est déjà interdit à l’école pendant les cours depuis 2010. Mais aujourd’hui seul un établissement sur deux a posé une interdiction. Cette loi va donc permettre une interdiction par défaut, non seulement des téléphones portables mais de tout objet connecté. Les directeurs d’établissements resteront libres de déterminer les lieux, les modalités et les conditions de l’usage du téléphone portable en milieu scolaire en gardant de la souplesse pour des cas d’urgence ou des nécessités pédagogiques dans lesquelles ces objets seraient jugés indispensables (on se demande lesquelles). Factuellement, il est probable que cette loi ne change pas grand chose car elle va être difficilement applicable, notamment par rapport aux libertés fondamentales comme le droit de propriété ou encore la fouille des élèves. Mais elle comporte une double portée symbolique car c’est une interdiction, un mot fort dans l’éducation depuis 1968 et cela concerne l’objet phare du 21ème siècle, véritable extension technologique d’un grand nombre de nos contemporains.

Mais pourquoi donc une telle interdiction ?

Les raisons avancées sont multiples. Pour lutter bien sûr contre la distraction permanente que ces objets connectés amènent dans l’école mais aussi contre la pornographie, le cyber-harcèlement, les fake-news et même, les effets néfastes de ces objets sur le cerveau de nos enfants, dixit le Ministre de l’Education Nationale. On comprend donc bien l’intention du législateur mais on a du mal a voir la véritable vision de cette interdiction plutôt décidée en réaction pour régler des perturbations. Une loi à moitié applicable et qui risque fort de faire un flop monumental sans répondre aux questions de fond.

Construire une vision pragmatique

Interdire un objet si important ne peut être compris si cela ne crée du sens. Or les raisons avancées ne créent ni sens, ni vision sur l’utilisation du numérique à l’école. Comme nous n’avons pas encore pris la mesure des impacts de l’utilisation massive de ces objets sur notre cerveau, notre corps, notre façon d’apprendre, de mémoriser, de réfléchir, d’être en relation avec les autres, nous ne savons pas encore bien l’utiliser. Or j’ai toujours été frappé par le fait que les parents les plus avertis de la technologie, qu’ils soient geeks ou même patrons d’entreprises Hi-Tech limitent drastiquement ou interdisent même l’usage d’ordinateurs, de tablettes ou de téléphones à leurs enfants, qu’ils inscrivent dans des écoles banissant complètement le numérique dans leur pédagogie. Comme par exemple la Waldorf School of the Peninsula, fréquentée par les enfants des patrons de la silicon valley. Ecole qui fait une grande part aux activités manuelles et artistiques et s’inspirent des pédagogies alternatives comme Steiner, Freinet ou Montessori. Autrement dit, quand on connaît bien les usages et les potentiels des outils numériques et connectés, on en connaît aussi les dangers, notamment chez les jeunes enfants, et on en limite sérieusement son usage. Ce pragmatisme devrait servir de base à une vision moins idéologique du numérique, associé systématiquement au « progrès » sans jamais définir ce dernier. Avec la tentation de tomber dans un véritable « solutionisme technologique », comme si le numérique pouvait répondre par magie à tous les défis de la pédagogie. Photo by Andy Tootell on Unsplash

Une sanctuarisation à renouveler

On a longtemps parlé de l’école comme un « sanctuaire » permettant d’entreprendre sereinement l’éducation des jeunes esprits à l’écart des vicissitudes du monde. Si cette vision, qui a fondé l’école républicaine devait être actualisée à l’heure de l’omniprésence du numérique et de l’hyper-connectivité, on trouverait là, le véritable sens d’une école qui n’utiliserait pas les outils numériques, ou que de façon très parcimonieuse, dans les temps de construction de l’enfance et de l’adolescence.
Cette école sanctuaire sans numérique permettrait aux élèves de tout milieux et notamment les plus modestes, de l’école jusqu’à la fin du collège, de faire l’apprentissage de la non connexion, d’une vie sans écrans, sans jeux vidéos, sans réseaux sociaux. Des moments de calme, de concentration et de sérénité qui deviennent de plus en plus rares dans la vie des enfants et des adolescents comme en témoignent toutes les études sur les temps passés devant les les écrans et objets connectés. Photo by rawpixel on Unsplash

Apprendre à coder et à décoder

Cette vision d’une école « sanctuaire » déconnectée ne s’oppose évidemment pas à l’apprentissage des principales compétences numériques, à l’acquisition d’une culture numérique et d’un sens critique. Les compétences numériques dites manipulatoires sont souvent acquises dans les familles. L’enjeu est donc plutôt de donner une culture numérique, une compréhension des grands mécanismes qui structurent les mondes numériques : les médias en ligne, les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, la question de la vie privée et des données personnelles. Il me semble beaucoup plus important de permettre aux enfants de décoder ces mondes numériques pour acquérir un sens critique aiguisé qui leur permettra de faire de vrais choix, d’être autonome et de s’adapter aux évolutions. Enfin, il est essentiel d’apprendre au plus grand nombre les fondamentaux du code informatique car si le « code est la loi » comme l’énonce Lawrence Lessig, alors, connaître le code c’est apprendre la grammaire de ce nouveau language. Photo by Ilya Pavlov on Unsplash

Une leçon pour le plus grand nombre

Cette vision pourrait inspirer aussi les parents qui sont souvent les premiers prescripteurs des technologies, eux-mêmes accros au numérique et angoissés à l’idée de ne plus être connectés avec leurs enfants. Cette hyper connexion en dit long sur une société qui ne supporte ni la séparation, ni le vide, ni le silence. A l’heure du renouveau de la méditation pleine conscience, des travaux manuels et de la slowlife, il serait temps replacer les technologies à leur vrai place. Sans les diaboliser et sans en faire de nouvelles idoles, capables de tout faire et de tout résoudre. Photo by Donald Giannatti on Unsplash

Jean POULY – @JeanPouly

Gérant fondateur – Cabinet ECONUM

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